DE LA PAROLE AUX ACTES Sans Jésus nous ne pouvons rien faire

Évangélisation

Le 20/06/2023

Dans Blogues

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Porter la Bonne nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre n’est pas un commandement mais, pour tout chrétien, une nécessité interne. 

Il ne s’agit pas d’imposer ni d’importuner mais de faire partager.

Annoncer l’Évangile, pourquoi est-ce devenu si difficile ?

 

Beaucoup de chrétiens trouvent qu’annoncer l’Évangile est de plus en plus difficile. Isabelle Morel, directrice de l’Institut supérieur de pastorale catéchétique et professeure à l’Institut catholique de Paris, auteure de Transmettre la foi en temps de crise (Cerf), pointe trois raisons majeures à cette difficulté.

Plusieurs facteurs rendent la transmission de la foi complexe : la crise écologique, le scandale des abus dans l’Église, et notre fonctionnement dans une société marquée de plus en plus par le numérique.

Quand on étudie les causes de la crise écologique, on se rend compte que les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont un rapport à la Terre et à la Création très anthropomorphique, très centré sur l’homme.

Or quand on est chrétien, on est invité à considérer la création comme un don reçu de Dieu, qui nous donne la responsabilité non pas de la dominer mais d’en prendre soin.

Voir la Terre uniquement comme une ressource à exploiter, c’est le signe que la transmission de la foi n’a pas été menée correctement jusqu’au bout. Et il en va de notre responsabilité de chrétiens de proposer une lecture correcte du premier livre de la Genèse.

Évidemment. Vous aurez beau mettre en jeu des trésors d’imagination pour évangéliser, vos efforts seront anéantis du jour au lendemain par les révélations des abus dans l’Église, qui sont des contre-témoignages si puissants que rien n’y fait.

Il faut absolument faire la lumière sur ces abus et les regarder en face.

 

« Les catholiques français préfèrent l’évangélisation de rue à l’ascèse du travail intellectuel »

 

L’histoire de l’Église est inséparable de celle de ses grandes figures intellectuelles.

Des Pères de l’Église à saint Jean-Paul II et Benoît XVI, en passant par saint Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin et bien d’autres encore, le travail intellectuel a toujours été motivé par le fait de mieux connaître la figure du Christ, de mieux œuvrer à la transmission de la foi et au développement de l’Église.

Parmi les neuf papes du XXe siècle, sept ont fait une thèse de doctorat.

Parmi les cardinaux d’hier et d’aujourd’hui, beaucoup furent docteurs et universitaires. Une fois cela constaté, se pose alors cette question aux catholiques d’aujourd’hui : à quoi les témoignages de vie de ces grandes figures de l’Église les appellent-ils ?

À la sainteté ? Bien sûr ! À l’humilité ? Oui. À être une minorité créative, pleinement engagée dans l’annonce de l’Évangile ? Évidemment.

La vocation de ces grandes figures de l’Église fut inséparable de leur recherche intellectuelle, pas comme fin en soi mais comme moyen, par la foi et la raison, d’avoir la vie la plus cohérente et unifiée possible avec le Christ au centre.

Il y a pourtant un paradoxe important parmi les catholiques français aujourd’hui. Les laïcs catholiques trouvent fort bien que les prêtres, avant d’être ordonnés, suivent de longues et denses études de philosophie et de théologie quand, souvent, dans le même temps, ils sourient d’un jeune qui s’engage dans des études de littérature ou de philosophie. « La philo, c’est bien pour les prêtres, une perte de temps pour les laïcs » : tel pourrait être résumé le rapport de nombre de catholiques à l’étude des lettres et des humanités, et même des sciences de la nature.

Sur ce point, ils se conforment à l’esprit de leur époque. Selon eux, il paraîtrait que ce type d’études ne permet pas d’être employable. Et que dire quand, parfois, l’un de ces jeunes souhaite s’engager dans la recherche en littérature, sciences sociales ou philosophie, voire en mathématiques ou en physique !

Pourtant, il y a logique et unité. Chercheur de Dieu, chercheur universitaire : il y a recherche de vérité, donc convergence, stimulation mutuelle, émulation.

Par ailleurs, c’est aussi un appel du concile Vatican II: « Il faut en outre tout faire pour que chacun prenne conscience et du droit et du devoir qu’il a de se cultiver, non moins que de l’obligation qui lui incombe d’aider les autres à le faire » (Gaudium et spes, n. 60, 3).

Il y a quelques années, j’entendais un évêque dire : « Il faudrait investir dans cinquante jeunes qui ont un profil d’intellectuels. Parmi eux, quinze perceront, pourront former les plus jeunes et participer au débat public sur les sujets de société. » Le verbe « investir » est ici pleinement employé.

Dans sa célèbre encyclique Fides et ratio (« Foi et raison »), Jean-Paul II lançait un appel à s’engager dans le travail universitaire car la philosophie a une « grande responsabilité » qui consiste à « former la pensée et la culture ». Certaines difficultés peuvent être dépassées « par une formation philosophique et théologique intelligente, qui ne doit jamais être absente dans l’Église. (…) il m’a semblé urgent de rappeler par cette Encyclique le grand intérêt que l’Église accorde à la philosophie ». 

Il parle ainsi de « l’effort de la recherche » et des chercheurs qui font preuve de « courage ». Leur travail est une « tâche », une « lourde charge », un « devoir ». En ce sens, le travail de recherche, d’enseignement et de transmission est un service.

Jean-Paul II débutait Fides et ratio par la formule célèbre : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. » 

Or, Jean-François Colosimo faisait remarquer le 17 décembre 2021 dans Le Figaro que « le catholicisme français, traditionnellement intellectuel et social, a connu un tournant piétiste avec le mouvement charismatique venu d’outre-Atlantique ».

De ce point de vue, les catholiques français actuels sont exposés à plusieurs fragilités.

D’une certaine manière, premièrement, ils rejoignent l’esprit du monde : ils cherchent une satisfaction et une efficacité immédiates, préfèrent l’évangélisation de rue (ce qui est évidemment très bien et à faire) à l’ascèse du travail de la pensée.

Deuxièmement, il y a un risque réel de fidéisme, de la part des jeunes ou de certaines communautés nouvelles. Le fidéisme, qui participe de l’hypertrophie contemporaine de la subjectivité, est une sorte de mépris de la raison qui délaisse l’intelligence et la compréhension de la foi.

Troisièmement, le risque du contre-témoignage. Tout chrétien qui cherche à unifier sa vie avec le Christ devrait tendre à avoir un niveau en catéchisme qui soit au moins équivalent à son niveau de responsabilité professionnelle.

Les catholiques font souvent partie des gens diplômés. Un défaut de formation philosophique et théologique fait courir le risque de participer à des logiques, par exemple économiques, qui ne sont pas cohérentes avec la foi, d’autant plus à l’heure de l’écologie intégrale.

Plus généralement, négliger la raison, c’est prendre le risque d’une paresse intellectuelle qui conduit à adhérer, y compris en dehors du domaine religieux, à des thèses bien éloignées du réel.

Enfin, ces différentes faiblesses risquent de s’accentuer au fur et à mesure que le nombre de prêtres en Occident diminue au cours des prochaines décennies.

Sur les sujets de société actuels, l’Église détient bien sûr une expertise, mais qui est à creuser pour mieux comprendre le monde actuel et voir comment répondre à ses besoins.

Sans recherche pour transmettre et « produire de la pensée », les réflexions des catholiques risquent fort de vite tourner en rond et de se retrouver à la traîne par rapport à l’évolution de la société.

L’héritage des papes et des grandes figures de l’Église invite les catholiques à prendre au sérieux le travail de recherche et d’enseignement.

 

L’évangélisation selon François

 

Le pape François a publié, le 7 janvier 2020 : Sans Jésus nous ne pouvons rien faire (Bayard), consacré à l’évangélisation.

Dans ce livre d’entretiens, François insiste sur la dimension évangélisatrice de l’Église et revient sur des notions chères comme le prosélytisme, l’attraction ou l’inculturation.

Après la Résurrection, c’est le Christ qui se rend visible aux apôtres.

C’est lui qui fait d’eux des témoins. Le témoignage n’est pas une prestation pour elle-même, on est témoin des œuvres du Seigneur. (…) Le témoignage suscite l’admiration, et l’admiration suscite des questions chez ceux qui le voient.

Les autres se demandent : “Comment se fait-il que cette personne soit ainsi ? D’où lui vient le don d’espérer et de traiter les autres avec charité ?”

Lorsque Dieu œuvre directement dans la vie et le cœur des gens, cela est source de stupeur.

Admiration et stupeur voyagent ensemble dans la mission. (…)

Admiration et stupeur sont les sentiments, les traits distinctifs qui caractérisent le chemin des missionnaires.

Cela n’a rien à voir avec l’impatience et les angoisses des publicitaires envoyés par les entreprises pour gagner des adhérents et faire des prosélytes. »

Il y a du prosélytisme (Le prosélytisme est l'attitude de personnes cherchant à convertir d'autres personnes à leur foi. Par extension, le prosélytisme désigne le zèle déployé afin de rallier des personnes à un dogme, une cause, une théorie ou doctrine, parfois en imposant des convictions .) partout où se trouve l’idée de faire croître l’Église en se passant de l’attraction du Christ et de l’œuvre de l’Esprit, en misant tout sur une sorte de “discours savant”.

Aussi, le prosélytisme exclut de la mission le Christ lui-même, et l’Esprit Saint même quand il prétend parler et agir au nom du Christ, de manière nominaliste.

Par nature, le prosélytisme est toujours violent, même quand il dissimule sa violence ou qu’il l’exerce avec des gants.

Il ne supporte pas la liberté et la gratuité avec lesquelles la foi peut se transmettre, par la grâce, de personne à personne.

C’est pourquoi le prosélytisme n’appartient pas uniquement au passé, à l’époque du colonialisme ou des conversions forcées ou obtenues contre la promesse d’avantages matériels. Il peut exister du prosélytisme aujourd’hui, au sein des paroisses, des communautés, des mouvements ou encore des congrégations religieuses. »

Annoncer l’Évangile à haute voix ne consiste pas à assiéger les autres à l’aide de discours apologétiques, à hurler rageusement à l’adresse des autres la vérité de la Révélation.

Il n’est pas plus utile de lancer à la tête des autres des vérités et des formules doctrinales comme si elles étaient des pierres. Quand cela se produit, c’est le signe que les paroles chrétiennes elles-mêmes sont passées à travers un alambic et se sont transformées en idéologie. (…)

Annoncer l’Évangile signifie transmettre à l’aide de mots sobres et précis le témoignage du Christ comme le firent les apôtres.

Mais il ne sert à rien d’inventer des discours persuasifs. (…) C’est pourquoi la répétition littérale de l’annonce n’a pas d’efficacité en elle-même et peut tomber dans le vide si les personnes à qui elle s’adresse n’ont pas l’occasion de rencontrer et de goûter d’une manière ou d’une autre la tendresse de Dieu pour eux, et sa miséricorde qui guérit. »

La force de la rencontre :

« Dans l’expérience commune, on n’est pas frappé si l’on rencontre quelqu’un qui circule en martelant ce qu’est le christianisme, ce que sont le bien et le mal et ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour aller ou non en enfer ou au paradis.

Dans l’expérience commune, il arrive le plus souvent d’être marqué par la rencontre avec une personne ou une réalité humaine qui surprennent par des gestes et des mots révélant leur foi dans le Christ.

Ce n’est que dans le climat d’admiration et de stupeur provoquant des questions que cette personne et cette réalité humaine peuvent attester et proclamer le nom et le mystère de Jésus de Nazareth, dans l’espoir de pouvoir répondre aux attentes et aux questions suscitées chez les autres par leur témoignage. (…)

La stupeur suscitée par ce que le Seigneur réalise dans ses témoins précède habituellement l’annonce. »

« Le message révélé ne s’identifie à aucune culture »

« Tous les processus féconds d’inculturation ont toujours creusé leur chemin petit à petit dans la trame de la vie concrète et quotidienne. Voilà quelle est la véritable inculturation.

S’inculturer, c’est être dans la vie ordinaire, dans la temporalité comme dans la manière de s’exprimer et d’exprimer la vie de ces peuples.

Comment imaginer que la foi puisse se transmettre comme une espèce de transplantation de l’organisation d’un pays dans un autre, d’une situation dans une autre ?

L’inculturation ne se fait pas dans des laboratoires théologiques, mais dans la vie quotidienne. (…)

Au cours des deux derniers millénaires, les peuples qui ont reçu la grâce de la foi l’ont fait s’épanouir dans leur vie quotidienne et l’ont transmise selon leurs propres usages culturels.

Le christianisme ne dispose pas d’un seul et unique modèle culturel. (…)

Il est vrai que plusieurs cultures ont été étroitement liées à la prédication de l’Évangile et au développement de la pensée chrétienne.

À l’époque où nous vivons, il devient toujours plus urgent de garder présent à l’esprit que le message révélé ne s’identifie à aucune culture.

Dans la rencontre avec de nouvelles cultures ou avec des cultures qui n’ont pas accueilli la prédication chrétienne, il ne faut pas essayer d’imposer une forme culturelle déterminée en même temps que la proposition évangélique.

Aujourd’hui, dans l’œuvre missionnaire aussi, il convient de ne pas emporter de lourds bagages, de se libérer de certaines sacralisations orgueilleuses de leur propre culture. »